Leblanc, André (Falun), Image de soi, image pour les autres chez Annie Ernaux et Marie-Hélène Lafon
La question de la sincérité en littérature est une question piège, voire insoluble. D’aucuns diront qu’elle est non-pertinente. Or, un élément intéressant peut permettre de jauger le degré de sincérité d’un auteur : son éthos. La littérature française se caractérisant par une propension à l’analyse psychologique au point d’en faire une de ses marques de commerce, cette analyse s’est de plus en plus déportée de l’attention à autrui pour se porter à l’attention vers soi. La portée universelle étant aussi une caractéristique de la littérature française, on a vu ces dernières décennies la production d’œuvre d’autofiction ou à caractère autobiographique ayant une portée universelle. C’est ainsi que l’on a parlé pour les œuvres d’Annie Ernaux d’« autobiographie collective ». Cette dénomination oxymorique pose problème à plus d’un titre, à commencer par la sincérité et la crédibilité de ce genre de productions littéraires. Face à celles-ci, il s’en trouve d’autres se situant plus près de la fiction tout en s’inspirant largement de la réalité vécue par l’auteur. Ces œuvres, qui se présentent comme des romans, sont annoncées dans les épitextes médiatiques comme largement inspirées par les données empiriques. S’ensuit alors la question de savoir ce qui est du ressort de la sincérité de l’auteur : comment faire la part entre les biographèmes et la fiction ? Annie Ernaux et Marie-Hélène Lafon illustrent chacune à sa façon l’un et l’autre courant, du plus personnel et intime à la quasi-fiction. Mais comment, en partant de leur vérité individuelle, ont-elles pu toucher un large public en mettant en avant leur sincérité et leur crédibilité ? Au-delà du processus d’identification entre elles et leurs lecteurs, il faut s’interroger sur la posture que leurs productions engagent, posture résultant d’une construction auctoriale et narrative nécessairement artificielle mettant à l’épreuve leur crédibilité. Cette communication se propose d’évaluer celle-ci eu égard aux modalités des rapports que ces auteures ont établi avec leurs lecteurs et qui leur sont propres : Ernaux (dans Les Années), en élaborant une fable sociale et féministe remettant en question les assises du patriarcat ; Marie-Hélène Lafon (dans Les Sources) en évoquant la dure vie paysanne dans son Cantal natal exprime des secrets tout personnels mais pourtant touchant un public de plus en plus vaste. La comparaison de l’éthos de ces deux écrivaines non seulement permettra de mettre au jour les caractéristiques respectives de celui-ci, mais permettra aussi de dégager les conditions selon lesquelles se construit la sincérité dans une autofiction française contemporaine.
Bibliographie :
Amossy, Ruth (2009). « La Double nature de l’image d’auteur », in Argumentation et Analyse du Discours, nu. 3, 1-16
Amossy, Ruth/Herschberg-Pierrot (2021). Stéréotypes et clichés. Langue, discours, société ; 4eédi. Armand Colin
Ernaux, Annie (2008). Les Années, Gallimard
Lafon, Marie-Hélène (2023). Les Sources. Buchet-Chastel
Maingueneau, Dominique (2022). L’ethos en analyse du discours. Academia Eds.
Meizoz, Jérôme (2004). « Postures » d’auteur et poétique (Ajar, Rousseau, Céline, Houellebecq), in http://www.vox-poetica.org/t/articles/meizoz.html