Benjamin Constant a la réputation d’être un écrivain raté puisque de toute la masse de ses écrits n’émerge qu’une seule oeuvre littéraire achevée, Adolphe. Ce roman est la résultante d’une série de tentatives allant du journal en passant par le journal romancé, le roman autobiographique voire le théâtre. Son succès qui ne se dément toujours pas tient avant tout à la peinture d’une relation assez paradoxale entre un homme et une femme. Or, si l’habitude a été prise d’affirmer que Constant a touché son public par son discours larmoyant sur le sort des protagonistes, on oublie que cette efficacité repose sur toute une série de discours rapportés constitutifs d’une véritable rhétorique de la mauvaise conscience. Tantôt c’est l’homme qui implore et qui supplie, tantôt c’est la femme qui accuse et qui provoque la pitié. De toute évidence, il y a une charge émotionnelle différenciée selon le sexe du locuteur. Mais qui plus est, cette différenciation est assurée par un narrateur masculin, rendant d’autant plus problématique, mais aussi polysémique, la valeur de ces actes de discours.
Une fois l’usage de ces discours rapportés remis dans une perspective à la fois génétique et générique, des premiers journaux intimes en partie fictifs jusqu’à la rédaction de Cécile, le récit autofictif précédant la rédaction d’Adolphe, il s’agira de déterminer les modalités comparées du discours rapporté féminin et masculin: imploratif, manipulateur, accusateur… ainsi que leur impact sur le public lecteur de cette oeuvre.