Tout au long de son œuvre déjà imposante, Amélie Nothomb a sans cesse alterné romans dits de pure fiction et écrits autobiographiques au point qu’une barrière étanche entre ces deux genres s’est établie. Or, tant Stupeur et tremblements, ouvrage relatant les expériences de l’auteure dans une grande entreprise japonaise, que Les Catilinaires ou Journal d’hirondelle dont les protagonistes sont masculins et vivent des aventures fort éloignées de ce que Nothomb a pu vivre, sont dénommés « roman ». L’étanchéité entre les deux genres, autobiographique et fictif, doit donc être considérée comme suspecte, et ce d’autant plus que plusieurs faits biographiques présentés à maintes reprises dans les œuvres dites autobiographiques sont remises en cause depuis quelques années. Ainsi, plusieurs documents laissent à penser que Nothomb n’est pas née au Japon et n’a pas travaillé dans une entreprise nippone. Si l’on ajoute à cela que l’auteure se répand dans les médias depuis plusieurs années sur certaines habitudes excentriques, telles se lever tous les matins à quatre heures pour écrire, se nourrir de fruits pourris, écrire trois ou quatre romans par an sans jamais faire une seule rature, il apparaît qu’une mise en scène a été organisée sciemment par l’auteure.
Loin de vouloir porter un jugement moral sur ce dispositif médiatique, cette contribution a pour but de démontrer comment une forme spécifique de mentir-vrai est à l’œuvre chez Nothomb. Bien plus qu’une simple comparaison entre les biographèmes, sujets à caution, et leur transposition littéraire ne pourrait le faire, une analyse discursive de certains thèmes récurrents permettra de montrer que les frontières entre autobiographie et fiction sont bien plus poreuses qu’un premier examen n’a pu le laisser croire. C’est ainsi que l’analyse du mythe de la naissance et celle du secret fera apparaître que les énoncés discursifs les exprimant, qu’ils appartiennent à la sphère autobiographique ou fictive, divergent parfois, mais aussi se recoupent tant dans leur expression que leur contenu. Ces deux thèmes n’ont pas été choisis au hasard car ils structurent et organisent bon nombre des énoncés-clefs des écrits de Nothomb : c’est la soi-disant naissance au Japon qui permet à l’auteure d’asséner des vérités sur la culture nippone tout comme c’est le secret qui est l’enjeu principal de nombreux romans (Hygiène de l’assassin, Mercure, Barbe bleue…) Au terme de notre réflexion, il apparaîtra que l’auteure a transgressé les genres pour mieux dévoiler le réel par la fabulation, rappelant en cela le précepte du mentir-vrai de Louis Aragon.
2016.